Rochefort face à la menace britannique : ville désertée ou ville renforcée ?
Pierre Loti, nom de plume du célèbre écrivain Louis Marie Julien Viaud (1850 - 1923) né à Rochefort, n'était pas le seul littéraire de sa famille. En 1845, son père Jean Théodore Viaud, secrétaire en chef de la mairie de Rochefort, avait déjà co-écrit avec le docteur Élie-Jérôme Fleury un ouvrage historique en deux tomes, Histoire de la ville et du port de Rochefort (1).
L'épisode de l'Expédition Secrète y est narré. A propos de la mise en défense de Rochefort, on peut lire à la page 9 du tome 2 de l'édition originale :
L'épisode de l'Expédition Secrète y est narré. A propos de la mise en défense de Rochefort, on peut lire à la page 9 du tome 2 de l'édition originale :
« (...) l’on apprit à Rochefort, le 23 au soir, qu’après deux heures d’une résistance héroïque, l’île d’Aix avait capitulé, et que les anglais devaient, dans la nuit, opérer une descente à Fouras. L’alarme fut aussitôt partout répandue. Les troupes de la marine qui étaient restées à Rochefort pour la garde de quelques postes du port furent immédiatement envoyées à Fouras, et l’on chargea tous les habitants de la ville en état de porter les armes de remplacer sur tous les points les troupes réglées.
L’intendant du port crut prudent de réunir à la hâte toutes les archives de la marine pour les expédier dans l’intérieur des terres, sous l’escorte d’un bataillon de Rennes qui arrivait de Laleu. Cette mesure de précaution jeta l’effroi dans la ville ; les dames prirent la détermination de fuir et demandèrent à suivre le convoi des archives. Bientôt Rochefort fut désert, le plus grand nombre des maisons furent abandonnées. »
Peut-on réellement croire que la ville a été désertée face à la menace d'un débarquement britannique ?
Un mémoire rédigé en septembre 1757 (2) indique que l'arsenal de Rochefort était au contraire très bien défendu et armé de 73 pièces de calibres 36 - 18 - 12 - 8 et 4 livres, canons débarqués des vaisseaux le Prudent (74) et le Capricieux (64), lesquels étaient installés comme batteries flottantes à l'embouchure de la Charente pour interdire la navigation fluviale à l'ennemi.
Les canons, répartis sur les remparts de la ville, totalisaient 17 pièces de 36, 19 pièces de 18, 2 pièces de 2, 30 pièces de 8 et 3 pièces de 4. Si l'on fait l'addition, 2 canons ne sont curieusement pas mentionnés : sont-ils non opérationnels ? Je pense plutôt qu'ils ont été installés sur le redan de la Motterie, non renseigné dans le mémoire car manifestement oublié par l'auteur du mémoire. Quant à leur calibre, au regard de la défense mise en place sur le front méridional de Rochefort, il ne serait pas étonnant qu'il soit de 36 livres.
Un mémoire rédigé en septembre 1757 (2) indique que l'arsenal de Rochefort était au contraire très bien défendu et armé de 73 pièces de calibres 36 - 18 - 12 - 8 et 4 livres, canons débarqués des vaisseaux le Prudent (74) et le Capricieux (64), lesquels étaient installés comme batteries flottantes à l'embouchure de la Charente pour interdire la navigation fluviale à l'ennemi.
Les canons, répartis sur les remparts de la ville, totalisaient 17 pièces de 36, 19 pièces de 18, 2 pièces de 2, 30 pièces de 8 et 3 pièces de 4. Si l'on fait l'addition, 2 canons ne sont curieusement pas mentionnés : sont-ils non opérationnels ? Je pense plutôt qu'ils ont été installés sur le redan de la Motterie, non renseigné dans le mémoire car manifestement oublié par l'auteur du mémoire. Quant à leur calibre, au regard de la défense mise en place sur le front méridional de Rochefort, il ne serait pas étonnant qu'il soit de 36 livres.
(1) bastion de la Vieille Forme : 4 pièces de 18.
(2) bastion de la Charente : 3 pièces de 18. (3) courtine : 1 pièce de 18 et 1 pièce de 36. (4) demi-bastion de l'Hôpital : 4 pièces de 36. (5) redan de la Sablière : 4 pièces de 18. (6) redan de la Forêt : 4 pièces de 8. (7) courtine : 2 pièces de 12. (8) redan de La Rochelle : 6 pièces de 8. (9) courtine : 2 pièces de 36 et 4 pièces de 8. (10) redan du Faubourg : 5 pièces de 8. (11) courtine : 2 pièces de 8. |
(12) redan de la Vieille Paroisse : 3 pièces de 8 et 1 pièce de 18.
(13) courtine : 2 pièces de 8. (14) demi-bastion Chauvet : 2 pièces de 8, 2 pièces de 18, 3 pièces de 4 et 2 pièces de 36. (15) courtine : 2 pièces de 8. (16) redan de la Motterie : probablement 2 pièces de 36. (17) redan de Martrou : 2 pièces de 36. (18) courtine : 2 pièces de 36. (19) demi-bastion de l'Ecluse : 2 pièces de 36. (20) bastion de la Prairie : 2 pièces de 36. (21) bastion de la Rivière : 4 pièces de 18. |
[nota bene : si la majorité des remparts a été détruite dans le premier quart du XXe siècle, il en reste encore des élévations, surtout sur le front septentrional - bastion de la Vieille Forme, bastion de la Charente, demi-bastion de l'Hôpital, redan de la Sablière absorbé par les thermes - et les vestiges du redan de la Vieille Paroisse ont été mis au jour il y a quelques années et faits l'objet de fouilles préventives (3). Il subsiste encore en élévation l'extrémité du redan de La Rochelle à côté de l'office du tourisme et du redan de Martrou à proximité du Conservatoire, anciennement poudrière].
Le mémoire indique que chaque pièce pouvait tirer 20 coups. En résulte les calculs suivants :
Boulets :
- 19 pièces de 36, chaque pièce pouvant tirer 20 coups : 13 680 livres de fer (soit 6 840 kg) - 19 pièces de 18, chaque pièce pouvant tirer 20 coups : 6 840 livres de fer (soit 3 420 kg) - 2 pièces de 12, chaque pièce pouvant tirer 20 coups : 480 livres de fer (soit 240 kg) - 30 pièces de 8, chaque pièce pouvant tirer 20 coups : 4 800 livres de fer (soit 2 400 kg) - 3 pièces de 4, chaque pièce pouvant tirer 20 coups : 240 livres de fer (soit 120 kg) Total : 26 040 livres de fer (soit 13 tonnes). Poudre : - pièces de 36 : 12 livres de poudre, soit 4 560 livres pour 20 coups et 19 pièces - pièces de 18 : 6 livres de poudre, soit 2 280 livres pour 20 coups et 19 pièces - pièces de 12 : 4 livres de poudre, soit 160 livres pour 20 coups et 2 pièces - pièces de 8 : 3 livres de poudre, soit 1 800 livres pour 20 coups et 30 pièces - pièces de 4 : 1 livre de poudre, soit 60 livres pour 20 coups et 3 pièces Total : 8 860 livres de poudre (soit 4,4 tonnes). |
Hommes au service des pièces :
pièces de 36 : 16 hommes (1 chef de pièce, 14 servants, 1 pourvoyeur) = 304 hommes pièces de 18 : 12 hommes (1 chef de pièce, 10 servants, 1 pourvoyeur) = 228 hommes pièces de 12 : 10 hommes (1 chef de pièce, 8 servants, 1 pourvoyeur) = 20 hommes pièces de 8 : 8 hommes (1 chef de pièce, 6 servants, 1 pourvoyeur) = 240 hommes pièces de 4 : 6 hommes (1 chef de pièce, 4 servants, 1 pourvoyeur) = 18 hommes Total : 810 hommes nécessaires pour servir 73 pièces. |
Le mémoire nous apprend également que :
« (...) Pour placer cette artillerie, il a fallu faire des embrasures au mur du parapet de la place. Chaque pièce est bastinguée avec des cordes, des matelas et des petits fagots de fascine pour couvrir les canonniers de la mousqueterie ennemie. »
« (...) Les canonniers sont campés au bas du rempart sous des tentes afin d'être plus à portée de leur poste. On les a armé en outre d'un fusil avec 20 cartouches chacun ; les fusils sont en faisceaux d'armes à l'abri de la pluie.
« (...) La milice bourgeoise et les compagnies des différents corps de métiers sont armés d'un fusil avec leurs baïonnettes et des cartouches pour 18 coups. On a fait 100 000 cartouches qui sont placées dans des caisses et gardées par des factionnaires dans les maisons près des remparts.
« (...) La porte de Martrou et celle de Charente ont été masquées avec les démolitions de leurs ponts. On se servira d'échelle de corde pour faciliter la retraite de nos troupes si elles étaient obligées de se replier (...)
« La porte de La Rochelle n'étant pas fermée convenablement et pouvant être aisément enfoncée, on a fait une herse en tuyaux d'orgue que l'on pourra baisser et lever facilement.
« Le mur de clôture de l'arsenal a été abattu en partie, alternativement de 50 pieds en 50 pieds. Les décombres ont été jetés en dedans, de manière que le tout forme une banquette et une espèce de parapet derrière lequel on peut placer l'infanterie. »
« (...) La cabane de la porte de Martrou composée de plusieurs maisons et celle de la Motterie qui masquaient entièrement le front de la porte de Martrou ont été entièrement démolies (...)
« (...) On a aussi abattu le mur du cimetière de la Vieille Paroisse, qui était trop près des murs de la place, et derrière lequel 200 hommes pouvaient se mettre à couvert.
« (...) Pour faciliter la retraite de nos troupes en cas qu'elles eussent été repoussées à la descente on a fait au commencement de la chaussée de Charras un épaulement dans lequel on a mis 4 pièces de canons de 6 qui peuvent battre la plaine de Charras (...)
« (...) pour retarder le passage de l'ennemi de ce côté, on a démoli 8 ponts de maçonnerie (...) on a aussi détruit 2 ponts de bois. »
Ainsi nous sommes bien loin d'une ville complètement abandonnée, contrairement à ce qu'ont pu écrire Viaud et Fleury 88 ans après les événements. Alors, d'où tenaient-ils ces informations manifestement erronées ?