Localisation du château de Montroy, cantonnement d'officiers français
En 1905, le baron Roger Claire Henri Chaudruc de Crazannes (1869-1962), membre de la société des archives historiques de la Saintonge et de l'Aunis entre 1904 et 1914 (1), fait paraître dans le Bulletin XXV de cette société savante une série de lettres écrites par son illustre aïeul, Jacques Chaudruc (1732-1788). Lors des événements de 1757, ce dernier, alors âgé de 25 ans, était capitaine de dragons du régiment de Culant affecté à la garde des côtes. Dans sa correspondance, on peut notamment lire le passage suivant (2) :
« 20 septembre 1757
Le 20 du mois de septembre 1757, M. le Prince, gouverneur de l’île de Ré, expédia à M. le maréchal de Senecterre, commandant des provinces de Poitou, Aunis et Saintonge, un courrier pour lui donner avis qu’il paraissait à hauteur de cette île une flotte anglaise armée depuis longtemps à l’ombre du mystère et dont les coups sûrs et inattendus devaient foudroyer la partie de l’univers qu’elle irait attaquer.
Dans ce temps de crise j’étais au château de Montroy à deux lieues de La Rochelle, chez Madame la comtesse de Noyant, où les circonstances avaient rassemblés une douzaine de capitaines du régiment de Royal-Dragons cantonnés dans les environs et les majors des régiments de Béarn et Bigorre en garnison pour lors à La Rochelle. Les progrès d’une nouvelle aussi inattendue la portèrent bientôt jusqu’à Montroy, nous l’y jugeâmes assez hasardée et nous continuâmes d’y faire bonne chère et d’y danser jusqu’à une plus ample certitude de cet événement.
21 septembre 1757
La nuit du 20 au 21 nous eûmes une très vive alerte, réveillés par le bruit du tocsin et de la générale. L’amour de la patrie, la fidélité pour notre auguste maître, notre état, l’honneur enfin, ce préjugé sacré qui est la vertu des grandes âmes, tout nous anima. Dans ce fortuné moment, foulant aux pieds les vils charmes du sommeil, nous nous levâmes et jusqu’à 10 heures du matin, nous courûmes en chemise dans les villages voisins pour éclaircir les sujets de cette alerte et savoir enfin s’il fallait aller vaincre ou mourir.
A une heure après midi, nous étions prêts de nous mettre autour d’une table où les mets bien apprêtés qui la couvraient promettaient de nous dédommager des fatigues de la nuit et de la matinée, lorsque les ordres du maréchal qui portaient que nous eussions à nous rendre à nos troupes confirmèrent la certitude de l’apparition des Anglais.
Nous jugeâmes qu’il convenait de bien dîner avant de nous mettre en marche. Deux morts se présentèrent à nos yeux, celle d’inanition et celle qui pouvait nous enlever dans le combat ; nous nous mîmes bien à l’abri de la première, et à trois heures nous nous disposâmes à aller parer les coups de la dernière.
L’ardeur du maître eut bientôt passé dans l’être de mon coursier ; d’une démarche aussi prompte que fière, il me conduisit en cabriolet à Saint-Xandre, où je trouvai cent de mes dragons en bataille. Je fis une exacte revue de leurs armes. Je marquai leurs logements, et après une pathétique harangue, je leur donnai ordre de se tenir prêts au premier signal, et je me rendis chez le maréchal pour prendre les derniers ordres.
La flotte anglaise parut enfin dans nos pertuis ce même soir. »
Un château est donc mentionné comme existant en 1757 à Montroy. Pourtant aucun édifice de ce type n'est de nos jours visible dans le bourg ou les environs, ni même évoqué dans la toponymie alentour. Il est néanmoins encore existant en 1839 puisque cité dans la Statistique du département de la Charente-Inférieure, page 49 (3) :
« MONTROY. – Population : 370 habitants.
La commune de Montroy qui tire son nom de sa position élevée, est située à 11 kilomètres de La Rochelle. Le château, dont la construction remonte au 16e siècle, domine sur une grande étendue de pays : de ce point qui est à 51 mètres au-dessus du niveau de la mer, on découvre facilement les îles de Ré, d’Aix et d’Oléron. Un bois de haute futaie qui existait autrefois dans le parc du château, servait d’amer aux navigateurs (...) »
Sachant que le plan cadastral de Montroy réalisé en 1829 est accessible en ligne sur le site des archives départementales de la Charente-Maritime, il semblait possible que quelques annotations puissent indiquer l'emplacement dudit château. Malheureusement, si quelques toponymes sont bien écrits, aucun ne fait référence à une quelconque résidence noble. Toutefois, la parcelle "234" (cf. infra, cercle rouge) attire le regard du fait de sa surface relativement démesurée et surtout par la présence d'un ensemble de grands bâtiments qui délimitent une cour.
Faute de pouvoir consulter les matrices cadastrales qui auraient probablement pu résoudre immédiatement le mystère de cette immense propriété, la consultation de la carte de l'état-major, levée entre 1820 et 1866, a confirmé que ladite parcelle correspond bien au château dans lequel a résidé un temps Jacques Chaudruc et quelques officiers régimentaires. On remarque même une grande zone boisée au nord, certainement un vestige de la futaie spécifiée dans la Statistique du département de la Charente-Inférieure.
Une fois la localisation établie, la consultation des autres plans cadastraux accessibles en ligne a permis de voir qu'au cours des décennies, le château a été peu à peu subdivisé en parcelles plus petites et ses bâtiments morcelés, voire même démolis. Mais son altération a commencé dès la période révolutionnaire, après la fuite du seigneur de Montroy, Louis René de Rançonnet et la saisie de ses biens immobiliers et mobiliers. Les titres et autres documents de propriété furent même brûlés par décision du conseil municipal le 15 décembre 1793 (6).
En perdant sa cohérence, le château de Montroy est devenu invisible dans le paysage. Son emprise ancienne est malgré tout facile à reconstituer, et il y a fort à parier que les substructures anciennes soient encore en place.
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Quelques éléments architecturaux défensifs montre que l'édifice était avant tout originellement bâti dans un but militaire avant de devenir par la suite une résidence palatiale, comme en témoigne, entre autres, une archère canonnière cruciforme, certainement datée du XVIe siècle. Elle est visible depuis la Grande Rue, n°14 sur un bâtiment en ruine. Il s'agit sans aucun doute d'un remploi. Un autre bloc de pierre percé d'un simple trou interroge. S'agit-il d'une canonnière simple ?
Quoiqu'il en soit, si le hasard vous mène à Montroy, vous saurez désormais qu'une ancienne forteresse veillait sur ces terres...