Antoine Archimbault : un illustre inconnu passe à la postérité
Antoine Archimbault naquit à Lhommaizé (aujourd'hui en Vienne) le 17 mars 1730 (1). Il était le fils de Jacques Archimbault, laboureur, et de Suzanne Gautron, mariés quatre ans auparavant le 5 mars 1726 (2). Il était le cadet d'une fratrie de trois enfants. Son aînée, Marie, était née le 19 novembre 1726 (3). Le benjamin de la famille, prénommé également Jacques, était né le 30 mars 1736 (4).
La famille Archimbault demeurait au lieu-dit Les Hozannets, situé à environ 3,5 km de Lhommaizé à vol d'oiseau. Le lieu existe toujours aujourd'hui [ci-dessous]. Il s'orthographie de deux manières, soit Les Auzenets selon l'adresse postale, soit Les Auzennes sur les panneaux routiers.
Un drame survint, le 23 avril 1742 : Marie mourut à l'âge de 15 ans. Elle fut inhumée le lendemain dans le cimetière de Lhommaizé (6). Comme un malheur n'arrive jamais seul, Jacques, le petit frère, décéda le 23 mai 1750 à 13 ans. Le 24 mai, il fut lui aussi enterré dans le cimetière de Lhommaizé (7). Antoine fut le dernier survivant des trois enfants Archimbault.
Antoine a été soldat de milice provinciale de Poitiers, servant dans la compagnie Jousserand sous le nom de guerre "Lhomaisé" (8). Sa présence dans ce corps militaire n'était pas son choix. L'enrôlement dans la milice était fait par tirage au sort. On lui remit alors un uniforme qui, selon l'ordonnance du 25 novembre 1746, était ainsi :
« (...) Les justaucorps (...) seront de drap gris blanc, les parements de même, avec les boutons d'étain jusqu'aux poches qui seront à quatre boutons et de pareil nombre aux parements au lieu de trois qu'il y avait auparavant. » Imaginons le désespoir de ses parents lorsqu'ils apprirent que leur dernier enfant n'allait peut-être jamais revenir de ce qu'on nommera plus tard la guerre de Sept Ans...
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Pendant ce temps et à 150 km de Lhommaizé à vol d'oiseau, en juillet 1757, le marquis Jean-Charles de Saint-Nectaire, plus connu sous le nom de Senecterre (alors promu nouvellement maréchal de France depuis le mois de 24 février et commandant des provinces d'Aunis, Saintonge et Poitou), se rendit sur l'île d'Aix pour se rendre compte de l'avancement des travaux de fortification du fort de la Rade. Les travaux de maçonnerie progressaient mais le remblai faisait défaut, en raison d'un manque d'argent. C'est alors que 4 milices du Poitou vinrent remplacer les compagnies de Rouergue et de la Sarre qui travaillaient aux terrassements. Le 28 juillet 1757, les fonds finirent par arriver. 60 hommes supplémentaires détachés des milices du Poitou furent envoyés en renfort pour accélérer les travaux. Le gouverneur de l'île, Mascaron, ancien officier du régiment d'Auvergne, fut alors remplacé par le Sieur de La Brosse, commandant un bataillon des milices de Poitiers. Ce dernier se retrouva à la tête de 360 hommes de troupes occupés aux ouvrages en construction. Antoine Archimbault était parmi ces hommes. Le 12 septembre, Joseph-Marie Budes de Guébriant, commandant de la marine à Rochefort, demanda à Louis-Benjamin de La Boucherie-Fromenteau de remplacer le capitaine de brûlot Garnier à l'île d'Aix. Il arriva le lendemain et prit son poste le jour même. L'île fut alors armée comme tel : sur le front de mer, 16 pièces de 24 et 5 mortiers dont 3 de fonte et 2 de fer ; sur le front de terre, 6 pièces de 18 ; dans la partie ouest, 2 batteries de 2 pièces de 24 ; dans le nord-est, une batterie de 3 pièces de 24. Le 14 septembre, 2 mortiers de fer vinrent compléter la défense du fort. Les troupes en places préparèrent les plateformes et les épaulements à la vue de la flotte anglaise qui mouillait au large depuis le 20 septembre. Et les travaux continuèrent jusqu'au 22 septembre 1757 (9).
Suite à la prise de l'île d'Aix le 23 septembre, Antoine Archimbault fut fait prisonnier comme beaucoup de ses camarades et déporté en Angleterre. Sur la liste des soldats de sa compagnie (10), il est indiqué qu’Antoine Archimbault est décédé en 1760 à l’hôpital de Bristol (11), probablement avant le 11 septembre car ce jour là ses camarades d'infortune furent libérés, comme l'atteste toujours la liste en question. Bristol était à l'époque un grand centre de détention pour prisonnier français (12) :
« BRISTOL, a été durant plusieurs siècles le principal port de l’ouest de l'Angleterre, un centre de détention de prisonniers de guerre, qui, en l'absence d'un grand lieu unique de confinement, sont entassés partout où ils pouvaient l’être. La tradition dit que la crypte de l'église de Sainte-Marie Redcliff a été utilisée à cette fin, mais on sait qu'ils ont rempli les cavernes sous la falaise elle-même, et, jusqu'à ce que la grande prison à Stapleton, devenue aujourd’hui l'hospice soit construite en 1782, ils ont été logés dans des vieilles manufactures de poteries à Knowle, près de Totterdown et Pile Hill, sur le côté droit de la route de Bristol, au sud de Firfield House. » |
Dans le volume XI du Journal de Wesley (14), nous lisons:
« Lundi 15 octobre 1759, j’ai marché jusqu'à Knowle, à un mile de Bristol, pour voir les prisonniers français. Environ 1100 d'entre eux, nous avons été informés, étaient confinés dans ce petit lieu, sans rien pour s’allonger si ce n’est sur un peu de paille sale, ou rien pour se couvrir hormis quelques légers haillons nauséabonds jours et nuits, de sorte qu'ils sont morts comme des moutons pourris. Cela m’a beaucoup affecté, et prêché dans la soirée L’Exode 23, verset 9. ₤18 ont été versées immédiatement, et qui s’élevèrent jusqu'à ₤24 le lendemain. Avec ceci nous avons acheté des tissus de lin et de laine, avec lesquels nous avons fabriqué des chemises, gilets et culottes. Quelques dizaines de bas ont été ajoutés, qui ont tous été soigneusement distribués où il y avait le plus grand besoin. Après quoi, la Société de Bristol a envoyé une grande quantité de matelas et des couvertures, et il ne fallut pas longtemps avant que la demande de contributions parvint à Londres et dans différentes parties du Royaume. »
Mais ici comme ailleurs, les jeux d’argent étaient la cause de beaucoup de nudité, car il écrit :
« 24 octobre 1760. J’ai visité les prisonniers français à Knowle et j’ai trouvé beaucoup d’entre eux à nouveau presque nus. Dans l'espoir de provoquer les autres à la jalousie j’ai fait une autre collecte pour eux. »
Une autre source mentionne ces collectes susmentionnées ainsi que d'autres à destination des prisonniers français, témoignant de la déchéance dans laquelle vivaient les soldats de Louis XV (15) :
- 15 October 1759, ₤18 collected at Bristol for linen and wool for the French prisoners at Knowle ;
- 16 October 1759, ₤6 collected at Bristol for linen and wool for the French prisoners at Knowle ;
- 16 December 1759, ₤20 from an anonymous correspondent for the poor French prisoners ;
- 24 october 1760, a collection at Bristol for linen waistcoasts for the French prisoners at Knowle.
Même si nous ne saurons jamais de quoi est mort Antoine Archimbault, l'on peut supposer sans trop se tromper qu'il fut certainement victime de l'un des fléaux du XVIIIe siècle, le typhus, en raison des conditions quasi inhumaines de détention des prisonniers français, de l'exigüité des lieux de confinements et surtout du manque d'hygiène. Un autre de ses camarades de la compagnie Jousserand décéda aussi la même année à l'hôpital de Bristol : Pierre Boisselière, dit Francoeur.
Saluons ici la mémoire d'un homme qui ne fut pas maître de son destin et mourut loin des siens pour une guerre qu'il ne comprit probablement pas.
Antoine "Lhomaisé" Archimbault, te voilà ressuscité d'entre les morts.